Aujourd’hui encore, ma grand-mère, âgée de 87 ans, me parle de l’enseignante qu’elle préférait au lycée, de la façon dont elle a changé sa vie et l’a encouragée à étudier les sciences dans les années 50, malgré le fait qu’elle soit une femme. Ma mère raconte qu’elle souhaitait devenir médecin, mais qu’elle a abandonné à cause d’un enseignant qui la décourageait. Quand j’avais des difficultés à faire les multiplications, ma sœur m’a appris une astuce que son professeur de collège préféré lui avait apprise. Même les héros les plus gentils, les plus intelligents, les plus forts du monde mourront un jour, pourtant, les enseignants, eux, ont la capacité de laisser une trace éternelle dans notre monde.
Je n’ai pas toujours aimé aller à l’école. En fait, je détestais cela car dans mon école publique japonaise, on se moquait de moi parce que j’étais la seule enfant qui semblait étrangère. Je trouvais également cela ennuyant étant donné que le travail demandé était trop facile pour moi. Je passais mes week-ends à fuir la maison et les jours de la semaine à fuir l’école. En CE1, je séchais les cours, échouais délibérément aux évaluations et ne rendais pas mes devoirs, même si je comprenais parfaitement ce qu’il fallait faire. La colère que je ressentais chez moi ressortait quand j’étais à l’école, et à l’âge de 7 ans seulement, j’ai été rapidement qualifiée de mauvaise élève, d’enfant à problèmes. L’école avait la réputation d’accueillir des enfants en difficulté, et les professeurs m’avaient abandonnée. Ils m’ont sévèrement puni et j’ai passé une année entière dans le silence, refusant de parler à qui que ce soit, détestant l’école, détestant étudier, détestant ma propre maison. Le seul réconfort que j’ai trouvé, c’était le monde de la littérature et mon journal intime, dans lequel je me décrivais vivant dans un monde parfait.
Après cette année de silence, mes parents ont décidé que je devais être envoyée dans une école privée plus stricte. Ils ont opté pour le Sacré Cœur, une petite école catholique pour filles, réputée pour ses bons résultats scolaires. J’étais prête pour la rébellion : une guerre contre ma nouvelle école et contre mon nouvel enseignant. Je suis entrée le premier jour, vêtue de mon nouvel uniforme, les poings serrés, mais j’ai été prise de court par ce que j’ai vu. La cour de récréation était luxueusement verte, avec des aires de jeux colorés et de grands arbres en flèches sous lesquels les élèves jouaient et lisaient. C’étaient des étudiantes de toutes les nationalités, de toutes couleurs de cheveux. C’étaient des étudiantes qui me ressemblaient. Quand je suis entrée dans l’école, j’ai vu que les murs étaient recouverts d’œuvres faites par les élèves, de peintures murales et de devises telle que « Love to Learn ». Tout cela contrastait énormément avec mon école japonaise traditionnelle qui n’avait qu’un tableau noir et des bureaux bien rangés. Malgré tout, je me suis tout de même rebellée et murée dans le silence pendant plusieurs semaines. Je ne rendais pas mes devoirs et je ne participais pas aux cours. Cependant, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver du plaisir à apprendre une nouvelle langue, à mesure que de plus en plus de livres devenaient disponibles et que je découvrais de nouveaux mots de vocabulaire, ainsi que de nouvelles expressions qui n’existaient pas en japonais.
Mon professeur de l’époque, Madame Moon, était une femme aux joues roses dont le sourire lui remontait jusqu’aux oreilles et lorsqu’elle parlait, j’avais l’impression qu’elle chantait. Elle parlait systématiquement avec chaque élève et faisait en sorte que tout le monde participe en classe. Chaque jour, elle me posait des questions, et chaque jour je refusais de lui répondre. Néanmoins, elle n’abandonnait pas. Un jour, elle m’a prise à part après la classe. Je m’attendais à me faire gronder, et j’étais prête à me défendre. Par contre au lieu de cela, elle a souri et m’a rendu le journal quotidien que nous devions écrire en me disant « C’est incroyable Hana, tu devrais devenir écrivain ! ». C’est une des premières fois où j’ai été complimentée et une des premières fois où j’ai été fière de moi. Madame Moon a alors commencé à me donner de plus en plus de travaux d’écriture et de livres à lire pendant le week-end. J’en avais suffisamment pour occuper mon temps libre à la maison. Certains jours, elle restait même avec moi après les cours, pour m’aider à faire mes devoirs. Finalement, j’ai accepté de lui parler, et au fur et à mesure, je me suis mise à participer en classe. Elle ne m’a jamaise considérée comme une mauvaise élève, et elle ne m’a jamais abandonnée. Elle ne me forçait pas à faire mes devoirs et ne s’attendait pas à ce que j’obtienne 100% à mes évaluations ; elle m’a plutôt fait tomber amoureuse des études et de l’apprentissage. Bientôt, apprendre est devenu ma passion, mon confort et mon évasion. Cela m’a donné un but, de la confiance et de la fierté. A la fin de l’année, je parlais couramment anglais et je m’étais même fait plusieurs amies. J’étais terrifiée et angoissée à l’idée de changer de classe. Toutefois, chaque année, mes enseignants étaient incroyables, réfléchis, attentionnés et chaque année j’aimais de plus en plus l’école. Je suis restée dans cette école du CE1 à la terminale, et durant toutes ces années, je n’ai fait que l’aimer davantage. Je ne pourrais pas choisir l’enseignant qui a eu le plus d’impact sur moi, car c’est toute l’école qui m’a changée. L’école est devenue une maison quand je n’avais nulle part où aller. Mes enseignants et mes camarades de classe sont devenus une communauté, une famille vers laquelle j’ai toujours pu me tourner. L’association étudiante est devenue une véritable passion et mon travail scolaire ma fierté. Ma conseillère m’a aidée à être admise à NYU, l’école de mes rêves, une chose que ni mes professeurs ni mes parents n’imaginaient se produire quand j’étais plus jeune. Je considérais chaque seconde passée en classe comme un cadeau, comme une deuxième chance que le monde m’avait donnée et que je chérissais.
Cependant cet amour pour l’école a eu un prix. Après 11 ans, quitter ma petite communauté de Tokyo que j’aimais tant et aller dans une grande université comme NYU était terrifiant. Dans l’immense salle de conférences, les professeurs ne m’ont pas remarquée. Je craignais de rater mes examens et de perdre ma bourse. Petit à petit, ma passion pour les études a été remplacée par l’obsession des notes. Mais heureusement, le français et mon professeur Monsieur Berthe m’ont sauvée. A l’origine, j’avais pris le français comme matière obligatoire linguistique, néanmoins, je suis rapidement tombée amoureuse de cette langue. Les mots français exprimaient mes pensées, d’une manière que le japonais et l’anglais ne le pouvaient pas. En outre, surtout, étudier le français égayait mes journées. Le professeur Berthe était l’un de ces grands professeurs intimidants qui sont venus en classe le premier jour en trottinette et qui parlaient français comme s'il rappait. En fait, le premier devoir qu’il nous a donné était de mémoriser une chanson de Diam’s, une rappeuse française, et de la chanter la semaine suivante. Chacun de ses cours était comme ça. Nous n’avons jamais utilisé de manuels. Nous passions chaque leçon à lire des bandes dessinées, à regarder des films et des publicités, à apprendre des chansons, ou encore à tenir des débats.
À travers ces cours, je suis tombée encore plus amoureuse de la langue et de la culture française. Cela a ravivé ma passion pour l’apprentissage. Réalisant que j’aimais écrire, il me donnait toujours des devoirs d’écriture supplémentaires et, chaque jour, j’avais hâte d’apprendre davantage le français, afin d’utiliser de nouveaux mots, de nouvelles expressions et structures dans mon écriture. Il m’a permis de jouer avec la langue et m’a rappelé qu’apprendre devrait toujours être amusant. Même après avoir quitté sa classe, j’ai continué d’utiliser ses méthodes de travail, c’est-à-dire, par le biais de chansons, de journaux, de poèmes et de jeux. Même pendant les pauses j’étudiais le français comme si c’était ma raison de vivre.
Je sais depuis longtemps que je veux être enseignante pour pouvoir devenir une Madame Moon ou un professeur Berthe pour des futurs étudiants. Je veux leur enseigner la joie d’apprendre, la libération qu’apporte la connaissance. Lorsque j’ai pris la décision de faire du français mon second domaine d’étude, on m’a demandé pourquoi, quels débouchés le français allait-il pouvoir m’apporter ? Pour moi, le français me rappelle les toutes premières raisons qui font que je veux devenir enseignante. Un rappel du pouvoir qu’a l’éducation pour changer des vies. Tous les professeurs de français que j’ai eus m’ont rendue enthousiaste à l’idée de me lever le matin et d’aller à l’école. Ils m’ont donné envie de toujours apprendre davantage. Ils ont été des modèles que je souhaiterais suivre dans ma future carrière dans l’enseignement, et ils me permettent de rester motivée.
Je connais une jeune fille japonaise qui détestait l’école, et à qui j’ai enseigné l’anglais. À la fin elle m’a dit qu’elle voulait être professeure d’anglais. C’est une des plus grandes réussites de ma vie, et je la dois aux extraordinaires professeurs que j’ai eus le plaisir de connaître. Les enseignants inspirent toute une génération d’élèves qui changeront le monde. Ils ont non seulement un impact académique sur eux, mais ils ont également la capacité de changer la vie de tous leurs étudiants. La marque qu’ils ont laissée sur la vie des hommes et donc sur le monde est éternelle.
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