Est-ce un mythe ? Une allégorie ? Réalité ? Qu'est-ce que Le Horla ? Le Horla, écrit sous forme d'entrées de journal qui se déroulent sur une période de quatre mois peuvent être interprétées de multiples façons. Commençant d’abord comme des entrées de journal plutôt ordinaires, au fil du livre et lorsque « l’être invisible » commence à prendre le contrôle de sa vie, il devient plus difficile de faire la distinction entre réalité et folie. À la fin, les lecteurs se demandent quoi saisir de l'œuvre ; venons-nous de lire une œuvre de fiction profonde et philosophique, ou le journal d'un homme extrêmement perturbé ? Notre tentative de comprendre et de catégoriser Le Horla est-elle aussi futile que le narrateur tente de comprendre le horla? Sommes-nous tellement obsédés par le savoir que nous ne pouvons pas gérer à l’inconnu ?
En commençant comme un journal intime sur sa vie, il est compréhensible de commencer par lire Le Horla comme une œuvre de non-fiction. Ce format de journal nous permet vraiment d'entrer dans sa tête et de lui faire confiance en tant que narrateur fiable. Même lorsqu'il commence à ressentir l'impact et la présence de cette créature invisible dans sa maison à travers des fièvres et une « influence étrange », nous ne doutons pas qu'il dit la vérité, car lui-même, en tant que narrateur, est sceptique quant à la possibilité que cela soit causé par des forces mystérieuses et croit que ce n'est que maladie. Quand il découvre que sa tasse d'eau a été bue pendant la nuit, il dit « Décidément je suis fou!... Ce ne pouvait être que pour moi ! » comme il préférerait croire le faire sans se souvenir, qu'il devient fou, que de reconnaître qu'il peut y avoir une créature inconnue. Il reconnaît même la folie de la situation en demandant « J’ai peur… de quoi ?... Je ne redoutais rien jusqu’ici…. J’écoute… j’écoute… quoi ?... Est-ce étrange qu’un simple malaise, un trouble de la circulation peut-être … » « Ai-je perdu la raison ? » Cette nature sceptique et honnête du narrateur est particulièrement soulignée par la forme du journal. Il n'essaie pas de persuader ni de convaincre qui que ce soit de ce qu'il vit, il est aussi confus que nous. Même lorsque sa cousine, Mme Sablé, est hypnotisé, il se demande si elle et l'hypnotiseur lui jouent un tour. Pendant un moment, il se contente de croire que cela doit être causé par une sorte de maladie ou de folie, et c'est pourquoi nous le croyons aussi. Cependant, ce qui le déstabilise vraiment, c’est ce qu’un moine lui dit au Mont-Saint-Michelle, « Est-ce que nous voyons les cent millièmes parties de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes… l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. » C’est cette pensée qui commence à faire de cet ‘être invisible’ une réalité potentielle pour le narrateur, et commence également à en faire une œuvre de fiction potentielle pour les lecteurs.
Bien qu’il soit écrit de manière très familière et non formelle, le livre glisse de temps en temps dans un ton littéraire presque philosophique ou même mythique. Le livre est souvent très auto-analytique et établit des liens et reprend même des symbolismes et des thèmes au sein de son propre œuvre. Après avoir parlé de la République et du manque de libre arbitre dans la société « On lui dit : « Amuse-toi. » Il s’amuse. On lui dit : « Va te battre avec le voisin. » Il va se battre. On lui dit : « Vote pour la République. » Et il vote pour la République. », le livre parle de l’hypnotisme de Mme Sablé et de son manque de libre arbitre, et puis il fait le lien avec sa rencontre avec le horla en disant : « Certes, voilà comment était possédée et dominée ma pauvre cousine, quand elle est venue m’emprunter cinq mille francs. » De cette façon, les lecteurs commencent à se demander s'il ne s'agit que d'une allégorie, d'une œuvre de fiction. Même l’introduction du horla semble presque comme un mythe : embarquant à bord des navires brésilienne et murmurant son nom au narrateur. Il cite même Voltaire et fait allusion à L’homme Machine de La Mettrie et à Bête Machine de Descartes. Encore une fois, la confusion du lecteur entre fiction et réalité reflète la confusion du narrateur entre hallucination et réalité, et à la fin, nous sommes laissés penser la même chose « cette homme était un sage ou peut-être un sot. »
Nous sommes incapables de faire face à l'inconnu. « Comme notre tête est faible et s’effare, et s’égare vite, dès qu’un petit fait incompréhensible nous frappe » Quand Mme Sablé a été hypnotisé pour demander cinq mille francs au narrateur, plutôt que de se confronter au fait qu'elle ne savait pas pourquoi elle ressentait le besoin de demander cinq mille francs, elle a menti et a dit que son mari l'avait demandé et avait même lui écrit une lettre, « Elle ne savait pas… donc elle a osa mentir. » Nous sommes si incapables de faire face à l'incertitude et à l'inconnu que nous préférerions mentir aux autres, peut-être même à nous-mêmes. Alors que nous croyions que ce que le narrateur nous dit doit être vrai parce que c'est une entrée de journal, est-il possible qu'il se soit aussi menti ? Peut-être il ne parvient pas à faire face à l’incertitude et a donc créé dans son esprit cette être invisible. Même lorsqu'il n'y a aucun signe de la créature et qu'elle ne lui fait rien, il devient paranoïaque de quelque chose potentiellement là.
« 9 août - Rien, mais j’ai peur.
10 août – Rien ; qu’arrivera-t-il demain ?
11 août – Toujours rien ; je ne puis plus rester chez moi avec cette crainte et cette pensée entrée en mon amé. »
En fait, ne pas voir le horla le rend plus effrayé que de le voir et de le ressentir. Quand il voit enfin le horla dans le miroir, il décrit un sentiment de joie « Tout à coup, j’ai senti qu’il était là, et une joie, une joie folle m’a saisi. » Il préfèrerait savoir qu'une créature terrifiante est juste à côté de lui et être certain de lui-même, plutôt que d’être incertain s'il existe ou non. Cependant, à la fin, il ne sait toujours pas s’il a réussi à tuer la créature ou non, et dans cette incertitude sans fin, il décide que sa seule option est de se tuer, « Non… non… sans aucun doute, sans aucun doute… il n’est pas mort… Alors… alors... il va donc falloir que je me tue, moi ! »
Alors, est-ce une œuvre de fiction ? Un journal de fou ? Est-ce que le horla existe ou est-ce une allégorie ? La beauté de Le Horla réside dans son ambiguïté et son incapacité à la définir. Nous, les humains, sommes tellement obsédés par le fait de savoir et de définir si quelque chose est vrai ou non. Qu'est-ce qui se passe après la mort ? Les fantômes existent-ils ? Dieu est-il réel ? Nous avons tué les autres et nous-mêmes en cherchant à répondre à cette question, mais peut-être « Le sage dit : Peut-être ? »
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